La Brève qui occupe le devant de la scène
Les dessous des Brèves de Verbatim #6
La visite des coulisses des Brèves de Verbatim nous a menés de graphies accidentées en homophonies fortuites, des joies du lexique aux formulations les plus atypiques. Après cinq épisodes consacrés à la forme des Brèves de Verbatim, le dernier de la série porte sur leur fond. Dans cette ultime catégorie, les phrases sont bien formées, bien orthographiées et tout à fait interprétables. C’est cette fois le contenu du message qui est sous le feu de nos projecteurs.
Au delà de la langue : le comique de situation
Le point commun à ces verbatim est qu’ils décrivent un type de situation : intervention d’un technicien, passage en boutique, en agence ou en concession, conversation téléphonique, réception d’une commande… Avant même de lire un verbatim, on s’attend à retrouver certains éléments clés du contexte (le référentiel prototypique) : le lieu et les objets du décor, les participants, leur rôle dans l’interaction sociale. Si des milliers de verbatim racontent un même type de situation, l’expérience se déroule différemment pour chaque client. Parfois survient un coup de théâtre, comme l’entrée sur scène d’un personnage inattendu :
J’ai apprécié la présence d’un petit chat dans la boutique !
C’est vrai que c’est mignon, un chaton ! Mais avouons-le, les Brèves les plus délectables sont celles qui racontent les mésaventures de leur auteur.
Surprenant et déplaisant : le détail qui tue
Personne n’aime tomber, surtout en public, alors qu’assister à une chute sans gravité en amuse plus d’un. C’est le principe du gag, à savoir l’arrivée dans l’histoire d’un événement imprévu et qui fait rire la galerie. Dans les Brèves, cela correspond au surgissement d’un élément déstabilisant dans le référentiel de la situation décrite. Quelques exemples :
- Un élément insolite (et malvenu) se glisse dans le décor :
Je dois toujours me piquer avec les rosiers pour relever le compteur
J’ai des grosses araignées noires plein mon compteur d’eau, si vous pouviez les enlever…
Si vous pouviez enlever le portrait du propriétaire, ce serait bien…
- Une pratique courante mais inappropriée dans le cas du client :
Le livreur a donné le colis à ma voisine que je hais ! donc non je ne commanderai plus…
J’ai reçu une attestation d’assurance scolaire pour ma femme qui a… 35 ans !
- Un comportement transgressif de la part du personnel, ici contraire aux codes de la politesse ou de l’hygiène. S’il n’est jamais agréable d’en faire les frais, ce genre d’indélicatesse est divertissante pour l’observateur extérieur :
Si vous pouviez arrêter de faire exprès de m’appeler « Madame » au lieu de Monsieur…
Je souhaiterais que le technicien ne passe pas par dessus mon portail…
Bien sauf que la personne à l’accueil refilait son rhûme aux clients…
Parmi les comportements transgressifs, il en est un qui revient plus souvent qu’on le voudrait…
Le cas des séducteurs : « Oublie que t’as aucune chance, vas-y, fonce » (Jean-Claude Dusse)
D’un côté, un.e dragueur.euse très insistant.e :
Elle avait l’air vraiment très sexy. Qu’elle continue dans ce sens.
J’ai vraiment apprécié votre travail ! Ca vous dirait de prendre le café chez moi ?
Mes réponses sont sujettes à caution, je suis tombé amoureux de votre intervenante!…
De l’autre, la victime de ses assauts déplacés… :
Vos techniciens ne devraient faire que leur job au lieu de draguer et faire des remarques hors de propos aux visiteurs surtout féminin.
Le réparateur a dépassé les bornes… En effet il m a dit que pour me dépanner, je pouvais aller prendre mes douches chez lui. Un peu abusé quand même !
… ou une épouse courroucée :
Je n’ai pas apprécié la vendeuse qui drague mon mari pendant que je suis dans la cabine d’essayage.
Que la scène soit présentée du point de vue du séducteur ou de la victime, le lecteur est toujours spectateur d’une situation de communication dans laquelle un des participants a outrepassé son rôle de client(e) ou d’employé(e). Sa tentative de séduction échoue lamentablement, comme celles du personnage de Jean-Claude Dusse. Dans la réalité comme dans la fiction, le dragueur loser a une dimension comique.
L’humour pour finir
Au delà des situations gaguesques dépeintes dans les exemples précédents, certains verbatim évoquent une situation conforme à nos attentes ; mais deviennent des Brèves quand l’auteur glisse volontairement un commentaire humoristiquedans sa description :
D’autres formulent des suggestions sur le ton de la plaisanterie :
J’aimerais un compteur rose. Ce serait beau et ça me donnerait envie de payer…
Je vous suggère de prévoir le soleil à notre arrivée et à notre départ. ????
Quelques-uns mêlent l’humour à l’ironie pour formuler un avis négatif :
Merci, No Reply , c’est bien votre nom en temps normal ?
Si je vous écoutais, je me laverais avec du whisky, ça coûterait moins cher…
Vu leur prix, est-ce qu’il y a de l’or dans vos composants ?
Les derniers pratiquent volontairement l’art du calembour (contrairement aux épisodes 3 et 4). Voici un joli exemple de calembour sémique (potable utilisé à la fois au sens propre et figuré) :
Même l’eau est plus potable que vos employés, c’est dire…
Le ton délibérément humoristique de ces verbatim font de ces Brèves une catégorie à part, car dans ce cas, l’auteur est conscient de l’effet produit par son verbatim. On ne rit pas de lui, on rit avec lui. Ainsi s’achève cette série, mais pas la découverte de nouveaux candidats aux Brèves de verbatim. J’entends justement un rire dans l’openspace… « Oh, elle est belle celle-là ! »
A bientôt sur OhMyBrève !
Cet article est le sixième et dernier épisode de la série « Les dessous des Brèves de Verbatim », créée et rédigée par Aurore. Retrouvez l’épisode précédent par ici : La Brève qui a une drôle de forme