La Brève qui mise tout sur le lexique

Les dessous des Brèves de Verbatim #4

Passé le cap de la faute d’orthographe, les Brèves de Verbatim nous mènent aujourd’hui au royaume des mots. Petits ou gros mots, mots doux, blessants ou réconfortants, mot clés, mots de passe et mots magiques…

Chacun a sa propre histoire avec les mots. Ils nous bercent depuis la naissance, et lorsque vient l’apprentissage du langage, puis de la lecture et de l’écriture, les mots prennent forme, comme un objet invisible qui soudain apparaît sous nos yeux. L’enfant qui s’intéresse aux mots se retrouve bien vite avec un dictionnaire entre les mains, qui lui offre un premier aperçu du lexique. Loin de l’impression de catalogue que donne un dictionnaire, le lexique est aujourd’hui représenté comme un vaste réseau par les linguistes.

Dans ce réseau, différents types de relations (sémantiques, morphologiques) lient les unités lexicales entre elles et sont à l’origine de drôles d’énoncés. Comment ça marche ? Suivez la guide !

Semer le trouble avec l’ambiguïté lexicale et rivaliser avec les blagues Carambar™

Bien souvent, quand on cherche le sens d’un mot dans le dictionnaire, on trouve… plusieurs significations, car la plupart des mots ont plusieurs sens. Si ces sens sont reliés, alors ce phénomène porte le nom de polysémie. La coexistence de plusieurs sens peut produire des énoncés ambigus, des doubles sens amusants. C’est la base des calembours sémiques (par opposition aux calembours phoniques évoqués dans l’épisode 3 : « La Brève qui mène une double vie ») qu’on peut trouver dans les emballages du célèbre bonbon au caramel. Par exemple :

Quel est le comble pour un électricien ?

D’avoir des ampoules aux pieds.

Le même principe opère dans certaines Brèves :

J’aimerais une alimentation plus prolongée pour certains vêtements dans les boutiques.

Dans cet exemple, l’ambiguïté repose à la fois sur la polysémie du vocable alimentation et sur sa position dans la phrase. Il précède le contexte qui permet sa désambiguïsation (vêtements et boutiques). Tant qu’on n’a pas lu ces éléments, c’est le premier sens du vocable alimentation (« action de procurer des aliments ») qui est activé dans le calcul du sens global de la phrase, alors qu’il faut lire un sens métaphorique (« action d’approvisionner un lieu »).

Il arrive aussi que la polysémie provoque un contresens non pas du lecteur mais de l’auteur du verbatim, qui nous fournit alors une bonne Brève :

Merci de me dire où se trouve le compteur « vert » que je dois remplacer. Les seuls que je vois sont rouge ou bleu…

Enfin, si rien ne relie deux sens associés à une même forme, on parle d’homonymie (homophones homographes). C’est par exemple le cas des acronymes renvoyant à la locution latine Requiescat In Pace et au Relevé d’Identité Postale. La mécanique est la même que précédemment, les deux interprétations possibles sont encore plus éloignées.

dois-je pour régulariser vous envoyer mon RIP ?

je suis à la recherche d’un adhesif aimant

En faire des tonnes avec la redondance lexicale et rejoindre Johnny sur la route de Dakar

Nous le disions en introduction, le lexique est un réseau dont les unités sont reliées les unes aux autres. Il existe par exemple des familles dérivationnelles, réunissant des mots ayant une même base (ex. parfait, parfaitement, perfection). L’utilisation dans une phrase de plusieurs mots de la même famille, ou la répétition du même mot, provoque une redondance lexicale. Utilisée volontairement, c’est une figure de style dont le but est d’expliquer, ou d’appuyer un élément. Cela peut être exploité comme procédé humoristique :

Parfait ! Votre station est parfaitement parfaite à la perfection !

Un repondeur qui repond jamais ou très rarement

Involontaire, la répétition d’un même contenu sémantique est perçue comme une maladresse, puisque ces énoncés affirment (a priori) des évidences :

Finalement, la prise en compte du problème a bien été prise en compte.

Je n’ai pas obtenu de remboursement alors que le but de mon appel etait ce but.

Je vous remercie pour l’intervention qui est intervenue rapidement !

Mon appel était un rappel de l appel pour signaler un problème sur la voie.

Ou comme disait Johnny Hallyday à son copilote en 2002 : « Tu te rends compte que si on n’avait pas perdu une heure et quart, on serait là depuis une heure et quart ». Imparable !

Faire preuve de créativité lexicale et relooker le dictionnaire

Pour un grand nombre de personnes, le dictionnaire a force de loi. Si un mot n’est pas dedans, il n’existe pas, ou il n’est pas français, et vous ne pouvez pas le placer sur la grille du scrabble. C’est oublier que le dictionnaire est une version « photoshopée » du lexique. Tous les mots existants ne sont pas enregistrés dans le dictionnaire.

Fort heureusement, parallèlement à nos connaissances lexicales, la compétence morphologique nous permet de calculer un sens à un nom comme pare-brisier la première fois qu’on le rencontre. Le calcul de ce sens s’appuie sur des mots construits selon le même modèle (bijoutier, chocolatier, serrurier, vitrier…), c’est-à-dire appartenant à la même série dérivationnelle. Cela nous permet également de créer de nouveaux mots au besoin. Et les auteurs de nos Brèves ne s’en privent pas. Parmi ces énoncés, on peut distinguer :

  • ceux contenant une forme différente de la forme enregistrée dans le dictionnaire et collectivement reconnue comme la norme. Identifié par le lecteur, cet écart à la norme prête à sourire :

un versement de 25 euros en crédit devait etre versé sur le compte du parraineur et le parrainé mais a ce jour il en ai rien! (parrain)

Meilleur achalandisme (achalandage)

bravo pour la ’ponctitude’ et le travail du technicien (ponctualité)

La solution a été moyennement satisfatoire (satisfaisante)

  • ceux contenant une nouvelle forme comblant une lacune lexicale, c’est-à-dire qu’aucun mot n’existe pour exprimer le concept voulu. En outre, l’innovation lexicale présente un aspect ludique :

Je trouve que votre collection est parfois trop « memerisante »

Comme je n’ai pas envie d’être cookifié, je fuis votre marque !

J’ai aimé la mise en relation directe avec le pare-brisier

Un nouveau mot pour les uns n’est pas un nouveau mot pour tous. Si l’adjectif mémérisant n’est pas (encore) dans le dictionnaire, il est très fréquent pour de nombreuses fashionistas, adeptes des émissions de Cristina Cordula. Tout est relatif, donc.

Enfin, souvenez-vous de l’épisode 2 (« La Brève qu’on touche des doigts »), qui présentait des fautes de frappe coïncidant avec des mots existants. Il arrive aussi qu’une coquille occasionne une forme qui n’existe pas, mais à laquelle le lecteur peut attribuer un sens grâce à sa compétence morphologique :

Je suis tombé sur le sevreur vocal qui m’a proposé de le rappeler.

Je n’ai toujours pas été remboursé à cause de vos soucis infirmatiques !

Il faudrait que l’établissement rajaunisse un peu, il commence à se faire vieux.

Moins conventionnelles mais bien plus ludiques, certaines coquilles peuvent être analysées comme des mots-valises :

Vous pourriez proposer d’autres modes de paiement comme papypal ? (le paypal des papys)

Je peux les redonner au tyransporteur lors de ma prochaine commande ? (un transporteur tyrannique)

Au milieu d’une page de dictionnaire ou dans la toile d’un réseau, dans un papier de bonbon ou à la télévision, les mots ne cessent de nous surprendre. Il est facile de se faire avoir. D’une utilisation maladroite naît une ambiguïté. D’une étourderie résulte une redondance. Même un mot qui n’existe pas peut faire s’écarquiller des yeux ou se dresser des oreilles. Vraiment, le lexique, c’est fantastique !

Cet article est le quatrième épisode de la série « Les dessous des Brèves de Verbatim », créée et rédigée par Aurore. Retrouvez l’épisode précédent ici : La Brève qui mène une double vie et le suivant par ici : La Brève qui a une drôle de forme

Auteur
Portrait collaborateur Aurore (Illustration)

Aurore Koehl