La Brève qui a une drôle de forme
Les dessous des Brèves de Verbatim #5
Pour mieux connaître leur clientèle, de plus en plus de marques écoutent la voix du client. Qu’ils s’expriment spontanément ou qu’ils soient invités à le faire par le biais d’enquêtes, leurs clients ont des choses à dire, des motifs de satisfaction ou d’insatisfaction à communiquer. Ces messages, les verbatim client, sont des formulations de ces idées.
L’analyse sémantique automatique propose de détecter un certain nombre de concepts fréquemment exprimés dans la masse des verbatim. C’est là que ça se corse, pour deux raisons.
- D’une part, pour être intelligible, un message doit respecter certaines règles, notamment produire des phrases grammaticalement correctes et interprétables. Pourtant, il arrive qu’un OVNI, un Obscur Verbatim Non Intelligible, émerge du flux des verbatim et atterrisse dans les brèves.
- D’autre part, pour exprimer un concept donné, les possibilités linguistiques sont très variées. D’un locuteur à l’autre, les choix lexicaux, les choix syntaxiques, le choix du registre varient, aboutissant à des formulations différentes pour une même idée. De la même manière, les formulations les plus originales sortent du lot.
Nous vous invitons à découvrir cette galerie de curiosités, en commençant par les formulations qui égratignent notre bonne vieille syntaxe.
Que l’énoncé grammatical soit !
Que l’on ne s’y trompe pas : les verbatim mal formés sont nombreux, mais tous ne font pas de bons candidats aux Brèves. Les erreurs les plus fréquentes sont même intégrées à la technologie d’ERDIL. Non, ce qui fait une Brève, c’est le petit truc en plus. Allons voir ça de plus près.
- Il y a d’abord des énoncés qui ne respectent pas l’ordre des mots :
Le technicien passé nous chez est juste parfait.
Mais ici, l’interversion du groupe chez nous en nous chez n’est pas sans rappeler maître Yoda qui maîtrise mieux la force que l’ordre canonique des constituants de la phrase.
- Il y a ensuite des phrases dans lesquelles il manque un mot :
Ici, le lecteur attend la structure x protège y de la pluie. Or ici, y n’est pas exprimé et la préposition de est manquante. On lit donc x protège la pluie. Sémantiquement, l’énoncé produit est perçu soit comme non interprétable, soit comme poétique.
- Enfin, il y a des phrases qui présentent un mauvais accord morphosyntaxique, ici le verbe n’est pas conjugué :
Mais c’est surtout l’association du verbe infinitif aux éléments lexicaux grande chef qui confère à l’énoncé son côté comique. Cela nous évoque, selon notre culture, le langage typique des indiens dans Lucky Luke, ou d’autres BD ou romans d’aventures.
L’espièglerie syntaxique : la double interprétation
Syntaxe et sémantique sont intimement liées. Un changement de combinaison des mots peut provoquer un changement de sens. On parle d’ambiguïté syntaxiquelorsqu’une structure peut être interprétée de plusieurs manières. Dans les exemples suivants, l’ambiguïté porte sur le rattachement de l’adjectif à un nom. Ainsi, on peut se demander si c’est la voiture ou la mère qui est increvable, si c’est le cinéma ou le référent du pronom on qui est vieillot. L’ambiguïté est renforcée par la distance qui sépare le premier nom de l’adjectif.
C’est une voiture que j’ai vendue à ma mère increvable
Très bonne salle mais manque juste un peu de place quand on est grande et un peu vieillotte.
j’ai eu un vendeur d’occasion mais je vais plutôt m’orienter vers un neuf.
En tant que lecteurs, nous savons bien quelle interprétation est la bonne, mais cela ne nous prive pas d’un sourire.
L’énoncé doit être interprétable
Être bien formée ne suffit pas à une phrase pour être intelligible. L’idée doit être exprimée clairement sous peine de ne pas être interprétable.
- Certains énoncés mettent à mal la logique et laissent le lecteur perplexe :
Après 30 minutes, comme personne ne m’a dit ce que je cherchais je suis reparti très déçu.
Je veux supprimer mon compte. Il a été fait inconsciemment et non par moi !
- D’autres ne correspondent pas à notre connaissance du monde :
Mon compteur d’eau était facilement accessible, mais plus maintenant, il fait refaire sa clôture.
- D’autres enfin comportent un ersatz d’une expression lexicalisée :
Personne ne m’apporte d’information et je suis dans les vagues.
Dans le premier énoncé, le sens de l’expression est modifié, dans le second, le sens est maintenu mais la formulation en rappelle une autre au lecteur (homme des neiges, reine des neiges, étoile des neiges…) et donne une impression cocasse.
La plupart des brèves mentionnées dans les épisodes 2, 3 et 4 pourraient être citées ici, car elles comportent des éléments qui entravent leur « interprétabilité ».
Fort heureusement pour tous, la plupart des verbatim sont grammaticaux et interprétables. Mais comme nous l’avons annoncé, il arrive que certains choix lexicaux de l’auteur attirent l’attention. En effet, une idée peut être exprimée de bien des façons, notamment en recourant à des figures de style. La suite nous conduit vers de surprenantes formulations.
Choisir de recourir à une image
Bien utilisées, les expressions imagées, ou métaphoriques, sont percutantes car elles produisent un effet visuel. La métaphore permet par exemple d’utiliser un élément concret pour décrire un élément abstrait. Elle permet également d’accentuer la dévaluation. Aussi saugrenus qu’imagés, ce serait vache de ne pas partager ces verbatim avec vous !
Plus d’attention à l’empaquetage parce que ça dansait la java dans l’emballage !
On aurait dit que vos conseillers préféraient faire du tricot plutôt que de m’aider…
J’aurais souhaité que vos conseillers soient un peu moins vendeurs de parapluie et plus techniques !
C’est la roulette russe à chaque paiement avec ma carte : passera ? Passera pas ?
J’ai pu contourner le problème grâce en saucissonnant la somme de mes deux comptes.
J’adore ma nouvelle voiture même si elle a des grandes oreilles, des rétroviseurs énormes.
Choisir de souligner son propos
Comme le recours à une métaphore, l’exagération est une figure de style qui permet de mettre en relief un point important de l’énoncé, ici le collaborateur est tantôt loué, tantôt décrié pour s’être fait attendre :
Selon la façon dont est exprimée une idée, deux types de verbatim se font remarquer : les uns brouillent le message quand les autres lui donnent une forme insolite. Dans les deux cas, pour catégoriser ces verbatim, le linguiste a du pain sur la planche. Si les marques sont à l’écoute de leurs clients, il reste un peu de chemin avant que tous soient entendus.
Cet article est le cinquième épisode de la série « Les dessous des Brèves de Verbatim », créée et rédigée par Aurore. Retrouvez l’épisode précédent ici : La Brève qui mise tout sur le lexique et le suivant par ici : La Brève qui occupe le devant de la scène