« Secourable amie de toujours, la machine à présent régit notre destin » écrivait1 Charles de Gaulle en 1934 ! À l’heure où une récente étude2 prévoit que 67% des interactions seront traitées par l’I.A. en 2030, il reste important de s’interroger sur la relation qu’entretient l’homme avec la machine. Une relation faite d’exaltation et de progrès social qui a été historiquement source d’inquiétudes et de bouleversements, de risques et d’opportunités… Alors, ces nouveaux collègues ayant tous le patronyme de « Bots » deviendront-ils trop envahissants jusqu’à remplacer les humains dans la relation client ?
La digitalisation au service des clients
Avec le développement du digital ces dernières années, l’omnicanalité et l’introduction de nouveaux modes de contact ont fait augmenter le volume d’interactions. Le développement de l’e-commerce et des plateformes d’intermédiation (par la création de nouveaux services ou la désintermédiation du commerce de proximité) entraînent aussi un besoin considérable en matière de relation client à distance.
Ces phénomènes, qui ont causé d’importantes transformations au sein des entreprises, ont aussi apporté un réel gain d’expérience client et d’engagement. En intégrant ces innovations et ces nouveaux outils, les marques ont en effet l’opportunité d’interagir avec des clients qui n’auraient sans doute pas utilisé les canaux traditionnels.3
Parmi ces technologies, les « bots » (chatbots, voicebots…) occupent une place importante dans la relation client que ce soit en front ou back office. S’ils ne sont pas encore au niveau de performance espéré, les bots ont déjà été adoptés par 31% des entreprises et 78% considèrent leur avènement comme inéluctable4. Ce développement répond aux besoins clients accrus en termes d’autonomie, d’immédiateté et de haute disponibilité (24h/24, 7J/7) : les agents conversationnels sont particulièrement pertinents pour des interactions relativement simples.5
Data et intelligence artificielle offrent de nouvelles perspectives
Les progrès considérables des solutions d’intelligence artificielle vont de pair avec l’explosion des données. Mais la data a aussi permis de remettre l’humain au centre et donc consolider l’importance de l’expérience client comme enjeu stratégique des entreprises. Comme l’explique Aurélie Jean6 : « les entreprises data driven considèrent davantage l’humain en le mettant au cœur de leurs stratégies, en valorisant sa data d’usage afin de personnaliser le service qui lui est rendu ». Par leur capacité à capter et réconcilier un grand nombre de données, les robots ont un rôle clé dans cette démarche.
Le développement des robots est aussi vecteur de nouvelles opportunités et même de nouveaux écosystèmes, à l’image des machines industrielles qui, dans le passé, ont donné naissance à de nouveaux métiers. Les acteurs majeurs des centres d’appels développent par exemple de nouvelles activités autour du « training et coaching » des bots. De son côté, le leader mondial des technologies de traduction, Systran, propose de rémunérer une communauté de traducteurs pour entraîner son IA neuronale multilingue.
Ces constatations venant conforter l’idée que l’IA est une opportunité de développement pour l’ensemble des acteurs de la relation client, je crois plus que jamais au rôle prépondérant de nos conseillers et du rapport humain.
La convergence vers une symétrie des intelligences
Il est un domaine où les robots auront plus de mal à s’aventurer : la capacité à gérer et générer des émotions, à rendre l’expérience du client inoubliable. Et même si les technologies le permettaient un jour, sur des situations complexes et/ou ayant une dimension émotionnelle importante, l’humain prévaudra toujours sur la machine. Rien ne peut remplacer la relation qui se noue entre deux personnes pour identifier des solutions dont la réponse est rarement binaire.
Dans un monde tout connecté, avec des préoccupations grandissantes autour de la transition énergétique, ne percevrait-on pas au contraire les prémices d’un besoin de retour à l’humain et à la proximité ? Il est frappant d’observer que s’il y a dix ans les campagnes des opérateurs télécoms nous vantaient les charmes d’un monde où nous serions connectés 24h/24, la dernière campagne d’Orange sur « bien vivre le digital » incarne une rupture qui interpelle. De son côté AXA Prévention prône la modération face aux risques de l’hyper connexion qui est une forme de déshumanisation.
Pour ces raisons, le développement de l’I.A. porte de fait, en symétrie, l’enjeu du développement de l’Intelligence Émotionnelle (I.E.). En nous délestant de tâches routinières à faible intérêt, les robots nous invitent à redéfinir notre rôle, notre valeur ajoutée et à nous recentrer sur ce qui définit notre « humanité ». Demain, les contacts seront moins nombreux mais plus complexes, plus réactifs ou pro-actifs, plus longs et pas nécessairement transactionnels : des moments de vérité sur lesquels pourront se construire ou se défaire une préférence de marque.
Le conseiller augmenté ou la complémentarité entre l’homme et la machine
Le principal défi auquel les sociétés seront confrontées, sera de réinventer la formation des collaborateurs. Là où l’excellence « technique » prévaut encore largement, il sera nécessaire d’investir radicalement de nouveaux champs de compétences : faire comprendre de façon très concrète ce qu’est l’empathie, ce qu’elle implique, former à mieux se connaître soi-même pour savoir s’adapter à son client, donner davantage d’autonomie de prise de décision dans le respect d’un cadre global, apprendre à mieux discerner les émotions de son client et les siennes…
Cette montée en puissance sur l’Intelligence Émotionnelle ne pourra se faire sans assister nos conseillers de clientèle sur la dimension technique de leur métier et réduire toujours plus leur pénibilité. C’est un pré-requis indispensable pour qu’ils puissent se focaliser sur la relation humaine. J’y vois évidemment la perspective d’une réelle complémentarité avec les robots qui viendront « augmenter » nos conseillers. Les bénéfices de cette collaboration sont nombreux : mieux personnaliser et contextualiser le contact, simplifier leurs gestes outils, utiliser la voix plutôt que la saisie comme interface homme-machine, leur apporter en temps réel des éléments à valeur ajoutée tout au long de l’échange ou encore identifier des signaux de risque ou des opportunités.
Comme toujours la technologie est un moyen et pas une fin. À nous d’en faire le meilleur usage !
Cette Tribune est un extrait du texte « Mon collègue, ce robot » publié par Damien Nuyttens.
Notes
1 Vers l’armée de métier – Charles De Gaulle, 1934
2 « Experience 2030 : The future of customer experience » – Futurum Research-SAS, octobre 2018
3 Avec des parcours clients de plus en plus variés, les français ont utilisé l’an passé en moyenne 3,4 canaux différents pour entrer en relation avec un Service Client vs. 2,6 il y a 10 ans. En Italie, cette moyenne est supérieure à 4.
4 « Observatoire des Chatbots » – Dydu – mars 2019
5 Par exemple : un justificatif de domicile, un duplicata de facture, un simple réapprovisionnement (dispositifs que nous utilisons chez Butagaz pour nos clients gaz en citerne avec notre Voicebot Lisa)
6 : Extrait issu de la préface de Expérience Client (V.Bédu, P. Le Clech, E.Dadian AFRC – Eyrolles – octobre 2019)
Date
21 janvier 2020
Auteur
Damien Nuyttens
Directeur des Opérations chez Butagaz – Gaz Européen
Après treize ans passés dans les télécoms (chez AOL France puis SFR), Damien Nuyttens rejoint en 2016 AXA France pour prendre en charge les Opérations commerciales en support aux Agents Généraux et au web. En septembre 2018, Butagaz le recrute en tant que Directeur des opérations sur les activités Gaz Naturel et Électricité. En octobre 2019, il reçoit la palme du « Directeur Client de l’année » délivrée par l’Association Française de la Relation Client (AFRC)